Entretien avec Roland Mathews

Roland MathewsEntretien avec Roland Mathews, praticien et enseignant de la méthode Feldenkrais. Grace à cette méthode de mouvements thérapeutiques, Roland a pu transformer une blessure en opportunité de croissance personnelle et professionnelle.

Florence : Roland, lorsque nous nous sommes rencontrés il y a dix ans lors d’une formation en yoga, tu travaillais dans l’informatique à plein temps. Récemment, tu as décidé de te consacrer uniquement à l’enseignement de la méthode Feldenkrais. Peux tu nous parler de ton cheminement personnel, et de ce qui te passionne dans l’œuvre de Moshe Feldenkrais ? 

 Oui, j’ai toujours aimé le sport et j’ai grandi en jouant au foot, au tennis, et en faisant de l’athlétisme. Mais à l’âge de 15 ans, je me suis blessé le dos en sortant quelque chose de lourd du coffre de mon père. J’ai fait de la kinésithérapie, mais ce traumatisme est petit à petit devenu une douleur chronique. Malheureusement, un an plus tard, je me suis blessé au genou en jouant au foot, ce qui a exacerbé la situation. En fait, pendant pratiquement toute ma vie d’adulte, j’ai souffert de douleurs chroniques au dos et au genou. J’ai commencé à développer des compensations, et mis en place de nouvelles habitudes de mouvement. Et plus mon corps s’ancrait dans ces habitudes, plus je ressentais de douleurs. J’ai essayé le yoga ainsi que d’autres formes de thérapies. J’étais soulagé de façon temporaire, mais les douleurs revenaient. Et puis, il y a environ sept ans, j’ai découvert la méthode Feldenkrais, essentiellement par le biais de DVD et de classes. Très vite, j’ai réalisé que non seulement mes douleurs s’atténuaient, mais aussi que toute une nouvelle gamme de possibilités s’ouvrait à moi. La méthode de Moshe nous permet d’être conscient de nos mouvements et de nos habitudes, mais elle change aussi la façon dont nous apprenons. Après quelques années en dilettante, j’ai décidé d’être plus sérieux et j’ai suivi un programme de formation sur quatre ans pour devenir praticien.

Tu as ainsi transformé un traumatisme physique en opportunité de croissance personnelle et professionnelle ! Et j’ai la chance de bénéficier de ta reconversion en étant l’une de tes élèves ! 

 Je comprends que le travail de Moshe Feldenkrais est un sujet vaste et complexe. Je vais donc te demander l’impossible. Comment décrirais-tu l’homme et sa méthode de façon simple?

Pour la petite histoire, Moshe Feldenkrais était un scientifique israélien. Dans sa jeunesse, il était passionné par l’autodéfense et le Jiu Jitsu. Dans les années 1930, il déménage à Paris pour suivre des cours à la Sorbonne et obtenir son doctorat. C’est là qu’il rencontre Jigaro Kano, le fondateur du Judo. Moshe lui montre les techniques d’autodéfense qu’il avait développées en Israël, et Kano est tellement impressionné qu’il le prend sous son aile. Ensemble, ils fondent alors le plus ancien club de judo en Europe.

Ce qu’il avait observé à la base était que les êtres humains ont tendance à avoir des façons limitées de se mouvoir, d’utiliser leurs corps. Ces façons de bouger créent des habitudes qui s’imprègnent dans notre subconscient. Ces habitudes parfois inefficaces finissent par devenir notre façon « naturelle » de bouger. Au fil des années, ce phénomène d’habituation finit par nous limiter, par affecter nos performances, ou encore par créer des douleurs chroniques.

Moshe a donc développé des mouvements inhabituels, doux et lents, pour nous permettre d’être attentifs à la façon dont nous fonctionnons, et de prendre conscience des modèles qui nous limitent. Ces mouvements permettent à l’intelligence de nos corps de trouver le meilleur moyen de bouger. Nous n’imposons pas le mouvement; Nous « l’écoutons » tout simplement. Et c’est lors de cette écoute que nos corps découvrent la façon la plus efficace de se mouvoir. C’est la magie de la méthode Feldenkrais.

En classe, tu nous dis toujours de ralentir ! Il y a quelques semaines, tu as utilisé une jolie métaphore pour nous rappeler l’importance d’aller moins vite : Conduire sur une route panoramique. Veux tu la partager à nouveau ?

Oui, ce qui est souvent difficile pour nous est que la méthode de Feldenkrais est pratiquement l’opposé d’une culture qui nous encourage sans cesse à aller toujours plus vite, à faire toujours d’avantage d’efforts. Si nous roulons sur une route panoramique et que nous ralentissons, nous pouvons alors voir tous les détails, la vue, les fleurs, les couleurs. Mais si nous allons trop vite, les détails et les nuances nous échappent. C’est important si nous essayons d’enrayer nos habitudes, parce que si nous nous déplaçons trop vite ou avec trop d’effort, nos cerveaux et nos corps choisissent leurs manières de bouger habituelles. En ralentissant, nous sommes en pleine conscience, et améliorons notre capacité à ressentir les nuances de nos mouvements. De là, nous pouvons alors réaliser qu’il y a une façon différente et plus efficace de bouger. Notre capacité innée à nous déplacer avec grâce et fluidité devient évidente et accessible.

Je sais que tu obtiens de très bons résultats avec tes clients et tes élèves. Quels sont les cas les plus intéressants que tu as rencontrés?

Une de mes premières élèves était une femme qui boitait, tellement elle avait mal au pied. Nous avons fait une séance privée, pendant laquelle j’ai utilisé ce que Moshe appelait un « plancher artificiel » pour éliminer la force de la pesanteur sur son pied. Elle a pu sortir de mon cabinet sans boiter et sans douleur, après juste une séance. Bien entendu, au début, les douleurs sont revenues, car sa façon habituelle de marcher/bouger était bien ancrée. Mais après quelques séances, elle a été capable de changer la façon dont elle bougeait et s’est améliorée très rapidement. Aujourd’hui, elle marche sans douleur et sans boiter.

Un autre de mes étudiants est un jeune surfeur et professeur de yoga qui s’était blessé à l’épaule en surfant. Le yoga l’aidait, mais certains mouvements et postures ravivaient la douleur. Quand nous avons commencé à faire des séances somatiques (NDLA : une autre façon de décrire la méthode Feldenkrais), il a remarqué que la douleur diminuait, et il a été très rapidement capable de recommencer à surfer et enseigner le yoga. Il est tellement convaincu de l’efficacité de la méthode qu’il l’intègre dans ses cours de yoga afin que ses étudiants puissent aussi en bénéficier.

Enfin, pour ma part, comme je l’ai dit plus tôt, je souffrais de douleurs chroniques parce que je refusais de ralentir ! Grace à la méthode Feldenkrais, j’ai pu non seulement soulager mes douleurs chroniques, mais j’ai aussi progressé en tennis. Je ressens une différence même dans la façon dont je marche ! Avant, je ne pouvais pas marcher une demi-heure sans avoir mal au dos et au genou. De meilleures performances en sport, moins de douleurs, mais aussi une nouvelle curiosité envers la vie ! Maintenant, par exemple, quand je visite un nouvel endroit, je cherche un itinéraire différent pour aller à mon hôtel. Je fais de même à la maison. Je redeviens curieux et passionné par la vie ! Je dirais même que tous les aspects de ma vie en sont améliorés.

Je souhaiterais terminer en partageant avec vous une citation d’un de mes professeurs de Feldenkrais, David Zemach Bersin :

Voyez la possibilité lorsque les autres voient un handicap
Voyez la santé lorsque les autres voient une maladie
Voyez le potentiel lorsque les autres voient une fixité 

Merci Roland. Nous espérons que tu viendras nous rendre visite en France et partager tes connaissances avec nous !

Pour en savoir plus sur Roland: rolandmathews.com

Florence Debout
Physiothérapeute sportif
Professeur de yoga
Conseillère de santé selon l’Ayurveda
info@florencedebout.com

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